C’est une prédiction pour le moins inquiétante qu’ont formulé vendredi dernier cancérologues et chirurgiens réunis à l’hôpital Beaujon à Clichy, à l’occasion d’une journée dédiée au cancer du pancréas, organisée par l’Académie nationale de chirurgie : le cancer du pancréas deviendra selon eux dans les années 2030 la deuxième cause de mortalité par cancer en Europe et aux Etats-Unis, derrière celui du poumon. « En France, l’incidence est galopante, un doublement a déjà eu lieu entre 2000 et 2006 puis entre 2006 et 2012 et alors que la mortalité de tous les autres cancers a diminué, celui-ci n’a pas bénéficié des progrès actuels » s’inquiète la Pr Vinciane Rebours, cheffe du service de pancréatologie à l’hôpital Beaujon, résumant ainsi toute l’inquiétude suscitée par ce cancer dans le monde médical.
Alors qu’on comptait en 1990 environ 3 600 nouveaux cas de cancer du pancréas en France, on en dénombre désormais plus de 14 000 par an (légèrement plus d’hommes que de femmes) et l’incidence augmente d’environ 3 % par an. En 2018, plus de 11 000 patients sont morts d’un cancer du pancréas en France. En raison de trop rares traitements par rapport aux autres cancers, celui du pancréas est le 12ème plus fréquent dans le monde (500 000 cas par an) mais le 7ème plus mortel (466 000 morts par an).
12 % de survie seulement à 5 ans
Comment expliquer cette hausse importante et continue de l’incidence ? Il ne semble pas qu’il s’agisse, comme pour d’autres cancers, d’une augmentation en trompe l’œil due à un dépistage plus soutenue. « Il n’y a pas encore de dépistage organisé comme pour le cancer du sein ou du colon » indique le Dr David Malka, cancérologue digestif à Paris. La hausse des cas de cancer du pancréas est donc essentiellement la conséquence de la progression de l’obésité (comme nous l’évoquions dans notre édition de lundi, l’incidence de l’obésité a doublé ces 15 dernières années) et du vieillissement de la population. La consommation d’alimentation industrielle et l’exposition à la pollution pourrait également favoriser le développement du cancer du pancréas. « Des analyses montrent plus de traces de polluants et de pesticides chez les gens qui ont développé un cancer du pancréas » selon la Pr Rebours.
Le taux de survie à un an et cinq ans est très faible par rapport à d’autres cancers : 58 % des malades atteints d’un cancer du pancréas décèdent dans les 12 mois et 88 % dans les cinq ans. L’une des premières solutions pour augmenter ce taux de survie serait d’améliorer le diagnostic, qui est bien souvent trop tardif : dans 80 % des cas, le cancer du pancréas est métastatique ou localement avancé à sa découverte et donc inopérable. Plusieurs pistes, encore balbutiantes, sont à l’étude pour améliorer le processus diagnostic : dépistage ciblé chez les personnes ayant des prédispositions génétiques (mais aucun gène favorisant le cancer du pancréas n’a encore été identifié) ou présentant des facteurs de risque (obésité, pancréatite…), utilisation de l’intelligence artificielle (plus à même de détecter des lésions précancéreuses qu’un radiologue même expérimenté), analyse des biomarqueurs etc.
Des traitements encore à l’étude
Encore balbutiants sont également les progrès concernant les thérapies ciblées. Elles ne sont utilisables que dans de rares cas, lorsque le « portrait moléculaire » de la tumeur est connue et l’Assurance Maladie n’en prend pas toujours en charge le cout. « Pour l’heure, un traitement oral par Olaparib, le seul validé pour le cancer du pancréas, peut être une alternative, mais il ne s’adresse qu’à un nombre de patients très limité, présentant une prédisposition héréditaire » explique le Dr Malka. Pour développer ces traitements, encore faudrait-il « mieux décrire les mécanismes sous-jacents de la maladie, qui semblent particulièrement complexe » reconnait le Dr Louis de Mestier, gastro-entérologue-hépatologue à l’hôpital Beaujon.
Pour terminer sur une note positive, notons que le taux de survie à un an et à cinq ans a tout de même doublé ces 30 dernières années, notamment grâce à la chimiothérapie. « La chimiothérapie est efficace sur de nombreux patients, il y a encore dix ans ce n’était pas le cas » note le Pr Olivier Farges, chirurgien viscéral et digestif à Beaujon. « La recherche suggère que la chimiothérapie en préopératoire a de nombreux avantages, elle peut faciliter la chirurgie en réduisant la tumeur et éradiquer les micro métastases (…) grâce à la chimiothérapie, nous avons amélioré les résultats de la chirurgie et réduit quand même le risque de rechute, c’est un progrès » conclut le Dr Malka.
Un premier progrès qui, espérons-le, en appelle d’autres et permettront d’éviter que ce cancer encore relativement rare ne se transforme en problème majeur de santé publique.