La sexualité, grande oubliée du parcours de soins
Si on atteint aujourd’hui un taux de 90 % de guérison à 5 ans pour les cancers détectés à un stade précoce, et de 80 % pour les cancers de stade 2, les séquelles post-traitement continuent, elles, de peser sur la qualité de vie des patientes. En particulier sur leur vie intime. Entre les douleurs lors des rapports (dyspareunies), la sécheresse vaginale et les bouffées de chaleur, Isabelle, 58 ans, le dit tout net: « En tant que femme, je ne me reconnais plus, et je n’ai plus envie de faire des efforts. » Cette assistante sociale, mère de trois garçons, mariée depuis quarante ans, a mis sa sexualité « en mode pause ». Elle est loin d’être la seule dans ce cas. « La sphère de l’intimité des patientes demeure le parent pauvre de la prise en charge », admet le Dr Philippe Toussaint, l’un des rares onco-sexologues³ exerçant dans l’Hexagone. « Même si les choses évoluent et que la bibliographie s’étoffe, c’est d’autant plus vrai pour ce type de cancer, qui touche surtout des femmes de plus de 65 ans. » La priorité étant d’abord de soigner, de traiter… les praticiens n’ont pas toujours le temps, ou l’envie, d’énumérer tous ses possibles effets secondaires lors de l’annonce du plan de traitement. « On évoque plus facilement la perte des cheveux et les nausées que la baisse de la libido et la sécheresse vaginale, constate le Dr Toussaint.
« Surtout ne pas oublier le partenaire dans la prise en charge. » Dr TOUSSAINT
Pourtant, la sexualité ne doit pas être l’apanage des jeunes, ou se réduire à sa fonction reproductive. C’est un sujet que l’on doit pouvoir aborder. » Et c’est là le problème ! Outre la nécessaire approche en réseau (des médecins, du chirurgien, des infirmières, du manipulateur en radiothérapie, de la socio-esthéticienne…), il faut que, à un moment ou à un autre, l’information et les solutions d’accompagnement soient disponibles pour ces patientes. Car elles existent² ! Plus que le quoi, c’est le comment qui importe pour l’onco-sexologue, qui prône une « véritable reprise en main par la patiente ». À la fois psychologique et physiologique. Parce que, après l’hystérectomie, certaines patientes, traumatisées, se sentent littéralement vides. Persuadées que, sans utérus, elles ne sont plus des femmes. D’autres, moins sexuellement actives qu’avant, redoutent que leur compagnon n’aille voir ailleurs. Et, lorsque les ovaires sont également retirés et qu’apparaissent brutalement les symptômes de la ménopause, le contrecoup n’est pas facile.
« L’utérus étant un organe hautement symbolique, il y a un deuil à faire et à accompagner, insiste le spécialiste. Et, même si l’on ne redevient pas celle qu’on était avant, on peut trouver un autre chemin et avoir une vie sexuelle pleine, épanouie. » À condition d’être écoutée et coachée, et de démystifier certaines croyances. « Succession d’examens gynécologiques avec speculum, ablation de l’utérus… Après tout ce qu’elles ont subi, elles redoutent que la pénétration soit douloureuse, qu’elle n’abîme ou ne fasse saigner leur cicatrice dans le vagin. Il faut les rassurer. »
Bientôt des sextoys sur ordonnance ?
Oui, mais comment? « En les informant que l’on peut leur prescrire des séances de rééducation périnéale ou endocavitaire chez un kiné, un ostéopathe³ ou une sage-femme, précise le médecin. En leur expliquant aussi, par exemple, comment faire un contracter-relâcher du vagin ou encore en les initiant aux dilatateurs vaginaux. Et, plutôt que de leur dire d’acheter un lubrifiant, expliquons-leur lequel choisir et comment l’utiliser ! » S’il s’agit juste d’hydrater pour faciliter le rapport sexuel, une simple huile de coco ou d’amande douce peut suffire. Pour agir au long cours sur la régénération des muqueuses, ce sera plutôt des gels ou crèmes à base d’acide hyaluronique, ou en injection. En cas d’échec, certaines techniques, comme le laser ou la radiofréquence, peuvent être proposées en complément des soins de base, mais le reste à charge est hélas ! souvent important.
« Mieux qu’un dilatateur vaginal : le godemiché ! » Audrey, 43 ans
« Quand on m’a annoncé que j’avais un cancer de l’endomètre, j’étais en pleine période de stimulation ovarienne pour avoir un bébé. Plus que la peur de mourir, c’est le deuil de l’enfant qui a été le plus dur. Ce cancer gynéco touche à l’intime. Après l’hystérectomie, pour limiter les risques de récidive, j’ai accepté la curiethérapie proposée. Personne ne vous parle vraiment de ses conséquences : vessie et rectum endommagés, rétrécissement du vagin, sécheresse vaginale… On vous prescrit des ovules d’acide hyaluronique pour hydrater, mais personne ne vous dit que ça coule et qu’il faut donc porter une serviette hygiénique ! Quant aux dilatateurs vaginaux, franchement, j’ai essayé, et je conseille plutôt un godemiché ! C’est dix fois plus confortable ! »
Dernier point, « il ne faut surtout pas oublier le partenaire dans la prise en charge, ajoute le spécialiste. Car des dysfonctions érectiles, ou l’existence de certaines comorbidités, peuvent aussi faire partie de la problématique ». En clair, il faut parler vrai ! Sans censure ni tabou. Ne pas rester isolée. C’est pourquoi l’association Imagyn, avec son Cocon itinérant et son excellent livret sur la sexualité 4, rappelle justement que, « malgré la maladie, les traitements et la chirurgie, votre clitoris, votre vulve et votre vagin sont toujours là. Si les organes qui ont été retirés sont indispensables à la reproduction, ils ne le sont pas à la sexualité ». Ni au plaisir ! Une fois la cicatrisation terminée (comptez environ six semaines), avec ou sans utérus, se faire du bien est plus que conseillé ! Pour se réapproprier son corps et ses sensations, mais aussi parce qu’on n’a rien inventé de mieux pour relancer naturellement la lubrification. C’est mécanique ! Et tous les moyens sont bons. Dans le bureau du Dr Toussaint, on parle des fantasmes, des textos coquins et des vibromasseurs ! Ces derniers pourraient-ils être un jour remboursés par la Sécurité sociale ? En 2021, la députée de Loire-Atlantique, Audrey Dufeu, alors vice-présidente de la commission des affaires sociales à l’Assemblée, a déposé un amendement pour obtenir l’ouverture au remboursement par la Sécurité sociale des traitements favorisant l’épanouissement sexuel des femmes après un cancer ou lors de la ménopause. Elle avait obtenu qu’un rapport d’évaluation de ces dispositifs soit lancé… Affaire à suivre 5.
Une cure thermale ? Ça soulage !
Pour soulager certaines douleurs pelviennes et lutter contre la sécheresse vaginale, ayez le réflexe cure thermale. Onze stations ont une orientation GYN – gynécologie ! Leurs eaux possèdent des vertus anti-inflammatoires, aseptisantes et cicatrisantes. Soin phare, la columnisation, qui permet l’étirement et une meilleure élasticité des tissus. En complément sont indiqués les cataplasmes de boue thermale, les irrigations vaginales, les pulvérisations d’eau thermale…
Céline Dufranc