Comment mieux dépister le cancer du col de l’utérus ?
Comparativement aux autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le système de santé français dispose d’un financement public plus étendu (83 % contre 73 % en moyenne), avec une participation directe des ménages parmi les plus faibles (2 % contre 3,3 %). Ses performances en termes d’accessibilité aux soins semblent donc incontestables. Pourtant, la France accuse un retard patent en matière de prévention, tout particulièrement dans le domaine du cancer.
Dans notre pays, la surmortalité prématurée est plutôt élevée : 4 167 années de vie perdues pour 100 000 habitants âgés de moins de 69 ans. Cette situation est notamment due aux cancers (198 décès par an pour 100 000 habitants). Ceci peut non seulement s’expliquer par des comportements à risque (tabac, alcool) très répandus, mais aussi par un taux de dépistage trop faible.
Au nombre des cancers à mieux dépister figure notamment le cancer du col de l’utérus. Prenant appui sur les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), un programme de dépistage de cette maladie a été lancé en 2019.
Un dépistage annuel pour les femmes de 25 à 65 ans
En Europe, quatorze pays européens proposent un programme national de dépistage du cancer du col de l’utérus, parfois depuis très longtemps : dans sept pays d’Europe du Nord, ce dépistage existe depuis les années 1960.
Depuis 2019, la France les a rejoints, en généralisant l’expérience du dépistage à l’ensemble du territoire dans le cadre du Plan cancer 2014-2019. Jusqu’alors, l’expérience ne concernait pas tous les départements, bien que l’expérimentation française du dépistage ait débuté dès les années 1990 . Trois départements avaient alors commencé à mettre en place le dépistage, bientôt rejoints par un quatrième en 2001, puis 10 autres en 2010 (l’un des départements se prêtant auparavant à l’expérience s’étant retiré en 2004).
Selon la HAS, le dépistage de la maladie, réalisé par frottis cervico-utérin, devrait être mené tous les 3 ans chez les femmes âgées de 25 à 65 ans. Le programme de dépistage français, mis en œuvre par les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers, s’est fixé un double objectif : réduire l’incidence et le nombre de décès par cancer du col de l’utérus de 30 % d’ici 10 ans, en visant 80 % de dépistage dans la population cible.
Toutefois, pour augmenter le taux de dépistage, il faut le rendre plus accessible aux populations vulnérables et/ou éloignées du système de santé. Et pour y parvenir, il s’agit de repérer les leviers d’action, comme nous l’avons fait dans l’étude économétrique dont nous présentons quelques résultats.
De fortes disparités territoriales
Outre la mise en exergue d’inégalités territoriales, nos travaux visaient surtout à identifier les moyens permettant d’accroître le taux de dépistage. Pour ce faire, nous avons mobilisé des données issues de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN), sur une période allant de janvier 2012 à décembre 2014. L’échantillon, constitué en majeure partie d’enseignantes, concerne des femmes âgées de 25 à 65 ans.
Nos résultats montrent tout d’abord que la proportion de femmes dépistées pour le cancer du col de l’utérus parmi les adhérentes de la MGEN est légèrement supérieure à celle observée en population générale (64 % versus 61 %). Mais de fortes disparités territoriales sont observées entre le Nord et le Sud de la France (voir carte ci-dessous), avec des taux de dépistage allant du simple (36,4 % dans la Creuse) au double, voire davantage (80,9 % dans le Territoire de Belfort). Ces écarts peuvent traduire des différences au niveau socio-économique, en termes d’état de santé ou encore en matière d’offre de soins.
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Globalement, et toutes choses égales par ailleurs, plusieurs freins au dépistage du cancer du col de l’utérus ont été relevés : l’avancée en âge (à partir de 40 ans), le fait de vivre seule, l’absence de couverture complémentaire et l’absence d’un dépistage du cancer du sein. Une moindre densité de gynécologues, un faible niveau socio-économique (avec peu de cadres) et des tarifs trop élevés (au-delà de 200 % de la base de remboursement de la Sécurité sociale, BRSS) diminuent également le recours au dépistage.
La nécessaire consultation auprès d’un gynécologue
Dans le détail, les femmes ayant réalisé une mammographie au cours des deux dernières années de l’étude ont une probabilité cinq fois plus élevée d’avoir procédé au frottis cervico-utérin. Le suivi pour contraception ou pour grossesse, quant à lui, multiplie par deux cette probabilité. Et in fine, les femmes consultant régulièrement leur gynécologue sont plus nombreuses à se soumettre à un dépistage du cancer du col de l’utérus.
La complémentarité entre les dépistages des cancers du col utérin et du sein est donc particulièrement forte, qu’il s’agisse d’une plus grande disposition individuelle à la prévention, ou d’une sensibilisation dans le cadre d’un programme de dépistage organisé. Mais les tarifs et la proximité de gynécologues jouent aussi un rôle central. Or leur inégale répartition géographique (voir la carte ci-dessous) pourrait s’aggraver avec l’évolution de la démographie médicale : au moins jusqu’en 2030, on s’attend en effet à voir diminuer la densité des généralistes et des gynécologues libéraux sur le territoire.
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Concernant les tarifs, notons que 61 % des gynécologues libéraux exercent en secteur 2, c’est-à-dire avec des dépassements d’honoraires, voire 89 % à Paris et dans les Yvelines (voir carte ci-dessous). Ce dépassement est loin d’être négligeable, puisqu’on l’estime en moyenne à 198,2 % de la BRSS. Problème : au-delà d’un dépassement de 200 % de la BRSS, nos résultats montrent que le recours au dépistage par frottis diminue de 24 %. Or il semble bien que cette difficulté n’ait pas été prise en compte…
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Comment améliorer le taux de dépistage ?
Depuis la généralisation du programme de dépistage à l’ensemble du territoire, les femmes invitées à y participer peuvent bénéficier d’un examen pris en charge par l’Assurance maladie, sans avance de frais. Mais s’il est possible de se rendre dans un centre de radiologie sans prescription pour une mammographie entièrement prise en charge, la consultation d’un généraliste, gynécologue ou sage-femme s’impose pour un frottis. Or seuls le prélèvement et son analyse sont en réalité intégralement pris en charge par la Sécurité sociale. La consultation, en revanche, peut se révéler pour partie non remboursée en cas de dépassement d’honoraires.
En participant à mieux informer les femmes, notamment celles qui ne consultent plus de gynécologue, la généralisation du programme national de dépistage du cancer du col de l’utérus devrait augmenter le nombre de celles qui s’y soumettent. Mais l’inégale répartition des gynécologues et la persistance de dépassements d’honoraires constituent néanmoins un frein au succès de l’opération. De ce point de vue, la création de maisons et pôles de santé associant divers professionnels dans les zones rurales et défavorisées pourrait améliorer la donne. Et ce, d’autant plus que l’on incitera des généralistes et des sages-femmes – sans potentiels dépassements d’honoraires – à pratiquer le frottis cervico-utérin.
Autre possibilité : créer une consultation spécifique au dépistage chez le gynécologue, avec un tarif opposable, c’est-à-dire fixé dans le cadre d’une convention signée entre le professionnel de santé et l’Assurance maladie. La potentielle perte de revenus pourrait alors être partiellement compensée par un mécanisme similaire à celui de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) : les gynécologues proposeraient une consultation sans dépassement d’honoraires dans le cadre du dépistage du cancer du col, et bénéficieraient d’un bonus financier en fonction du nombre de tests pratiqués par rapport aux objectifs fixés. Seul bémol : pour l’heure, ce mécanisme n’a eu que des effets mitigés sur les indicateurs de prévention avec les médecins traitants. Un constat à creuser pour lever tous les freins au dépistage…
Will de Freitas