Comment refaire l’amour après un cancer du sein ?
Sécheresse vaginale, manque de désir, altération de l’image de soi… Un cancer du sein bouleverse la sexualité. Or le sujet est encore très tabou dans les cabinets des médecins. Conseils avec le Pr Mahasti Saghatchian, oncologue et le Dr Damien Mascret, médecin généraliste et sexologue.
Le diagnostic d’un cancer du sein et les traitements qui s’ensuivent bouleversent la vie sexuelle des malades. La question de la sexualité doit être abordée par les professionnels de santé afin de permettre aux femmes de retrouver une sexualité épanouie, étape indispensable de leur guérison. En effet, la priorité est souvent donnée aux traitements de la maladie et la sexualité est souvent oubliée. L’enquête VICAN, menée en France, a montré que deux ans après un diagnostic de cancer, la majorité des personnes qui étaient sexuellement actives ont vécu une détérioration de leur santé sexuelle. La moitié des femmes disent rencontrer des troubles du désir qu’elles n’avaient pas avant le cancer, jusqu’à 5 ans après la guérison physique. « Malheureusement aujourd’hui, la prise en charge de la sexualité après le cancer du sein n’est pas systématique. Les patientes doivent être pro-actives et demander une prise en charge globale avec des spécialistes : psychologue, gynécologue, sexologue, etc » conseille le Pr Mahasti Saghatchian, oncologue et spécialisée dans la prise en charge des femmes atteintes de cancer du sein. « Pour beaucoup de femmes et de médecins le sujet de la sexualité parait futile après un cancer du sein. C’est une double peine ! Elles ont survécu à un cancer mais elles semblent devoir subir les effets secondaires. Il y a un vrai tabou. Même du côté des professionnels de santé, il n’est pas toujours évident de parler avec nos patientes de sexualité » ajoute l’oncologue.
Quels sont les effets des traitements sur les organes sexuels de la femme ?
« Les traitements contre le cancer du sein peuvent provoquer plusieurs effets secondaires tels qu’une sécheresse vaginale liée essentiellement à l’effet hormonal (secondaire à la chimiothérapie et à l’hormonothérapie), une atrophie de la muqueuse vulvaire et vaginale (la muqueuse devient plus fine et plus sensible), des rapports sexuels douloureux, une hausse du risque des infections urinaires et des mycoses » détaille l’oncologue. Quelles sont les conséquences sur la libido de la femme ?
Quelles sont les conséquences sur la libido de la femme ?
La libido d’une femme qui a suivi des traitements contre le cancer du sein est souvent endommagée. « C’est comme si l’interrupteur libido était éteint. Les traitements hormonaux impactent directement le mécanisme de lubrification. Le diagnostic de la maladie détériore l’image de soi » indique le Pr Mahasti Saghatchian. Elles n’ont plus envie d’avoir des relations sexuelles et quand elles s’y essayent l’acte est douloureux (brûlures, frottements etc) en raison d’un manque de lubrification ce qui va les bloquer davantage. Elles se retrouvent alors dans un cercle vicieux. « Beaucoup de femmes souffrent d’un syndrome anxio dépressif » ajoute l’oncologue. Le désir sexuel est entravé, l’image de soi est détériorée et le plaisir sexuel est impacté.
« La capacité à accéder à l’orgasme diminue pour 1 femme sur 2 jusqu’à 5 ans après la guérison »
« Le système entier du plaisir, de l’envie jusqu’à la jouissance, est bloqué. La capacité à accéder à l’orgasme diminue pour 1 femme sur 2 jusqu’à cinq ans après la guérison du cancer du sein« ajoute le Dr Mascret, sexologue. « Chaque femme devrait être accompagnée par un psychologue, un sexologue et un gynécologue au minimum. La prise en charge psychologique doit être couplée à des traitements pour corriger les séquelles physiques (lubrifiant, laser vaginal pour réépaissir la muqueuse fragile, éventuel traitement hormonal local pour certaines)« soutient le Pr Mahasti Saghatchian.
Au bout de combien de temps peut-on refaire l’amour après une mastectomie ?
« C’est chacun à son rythme » répond d’emblée le sexologue. C’est très variable puisque cela dépend de l’âge du diagnostic, de la pré-existence ou non de troubles sexuels, de la prise en charge et du parcours de chaque femme. « La seule limite est la gêne psychologique de la patiente et sa douleur » ajoute le Dr Mascret. L’étude Canto qui suit des patientes après un cancer du sein montrent que les troubles sexuels persistent jusqu’à 4 ans après l’arrêt des traitements.
Comment communiquer avec son partenaire sur la sexualité post cancer ?
« En général, je commence par expliquer à mes patientes le cycle du désir et les éléments qui interviennent pour les aider à repérer les endroits où elles ressentent un blocage. Cet outil sert aussi de moyen de dialoguer avec son/sa partenaire pour qu’il/elle communique également sur les étapes problématiques pour lui/elle » explique le Dr Mascret. Il faut distinguer la satisfaction émotionnelle, sexuelle et celle du partenaire. « Je rappelle aux patientes que la satisfaction du partenaire ne signifie pas l’abnégation de son propre consentement. Le partenaire a aussi un cycle du désir avec le critère satisfaction du partenaire donc il ne faut jamais avoir rapport sexuel seulement pour faire plaisir à l’autre » souligne l’expert.
L’attirance pour le partenaire dépend de son comportement et de son attitude.
On se penche également sur les éléments du cycle naturel du désir parce que l’attirance pour le partenaire dépend du comportement et de l’attitude de ce dernier et de la nouvelle relation qui s’est établie entre eux notamment par rapport aux attentes sur le plan de la sexualité. « Après une période qui a souvent vu une libido à zéro, le couple souhaite reprendre une vie sexuelle. Or, la femme peut avoir des envies différentes et le partenaire l’illusion que tout doit revenir comme avant. Ces changements peuvent déstabiliser le couple, poursuit le sexologue. Il faut communiquer sur ce que l’on peut faire ou pas. Demander à sa partenaire si on peut lui toucher la poitrine, le sein opéré mais également le sein qui n’a pas été touché par la chirurgie. Certaines patientes ne veulent pas qu’on leur touche le sein, même si il n’a pas subi l’opération« . Dès la fin de la première séance, le Dr Mascret propose aux patientes de revenir avec leur partenaire si elles le souhaitent. « Cela me permet de donner des clés de compréhension au partenaire. Par exemple, je recommande de ne pas se priver de gestes affectueux, de câlins et même si ils ne débouchent pas sur la sexualité. ils ne sont pas seulement un préliminaire vers le rapport sexuel« note le sexologue.
Comment surmonter les troubles psychologiques après un cancer du sein ?
« La base est vraiment d’évoquer tous ces effets indésirables en amont du traitement, pour que les femmes puissent être informées et se préparer le mieux possible. Le cancer du sein est un chamboulement à tous les niveaux dans la vie d’une femme » insiste le Pr Mahasti Saghatchian. Concernant les problèmes de sexualité, « on passe par une étape diagnostique précise pour identifier les troubles. S’ils pré- existaient au cancer, la prise en charge thérapeutique diffère » note le Dr Mascret. La dimension psychologique va de pair avec la dimension physique. En effet, le cerveau mobilise son attention sur la gestion de la douleur et entrave la libido. La douleur physique doit être appréhendée et formulée. On pourra utiliser du lubrifiant et adapter les pratiques, notamment en ne restreignant pas la sexualité à la seule pénétration. « Je propose à mes patientes d’élargir leurs pratiques sexuelles, un renouveau de la sexualité peut se produire et aider les femmes. Les deux partenaires explorent les univers érotiques de chacun qui les font sortir de leur routine. On invite à faire des tests, expériences pour voir ce que cela donne en termes de pratiques » recommande le sexologue. Des séances avec un psychologue ou un psychiatre sont par ailleurs une aide précieuse pour surmonter les troubles psychologiques engendrés par l’épreuve du cancer.
« A trop concentrer son attention et son énergie sur la difficulté qui nous perturbe, on ne libère pas suffisamment d’attention sur les véritables objectifs »
Comment s’approprier son corps après une opération des seins ?
Pour se réapproprier son corps, il faut commencer par accepter le fait qu’il est différent et a été blessé. « Prévenir la patiente que l’image de son corps sera modifiée et lui donner des clés pour l’accepter » précise le Dr Mascret. Cette réappropriation se déroule en douceur, en général entre 3 et 5 séances quelques mois après l’intervention. « J’utilise les thérapies d’ACT, d’acceptation et d’engagement, qui défendent une approche globale des difficultés. J’explique à mes patientes qu’à trop concentrer son attention et son énergie sur la difficulté qui nous perturbe, on ne libère pas suffisamment d’attention sur les véritables objectifs. Je leur apprends à reprendre une certaine distance avec ce qui leur est arrivé, en se posant la question : quelle vie je veux avoir et non pas quel corps je veux avoir » développe le sexologue. Il faut prendre du recul avec les émotions qui nous traversent sans les combattre ni les nier mais accepter le fait qu’elles font partie de notre vie. « Les couples dans lesquels l’érotisation des seins était importante doivent renégocier la place de cet érotisme dans le nouveau couple que l’on forme avec son partenaire » note l’expert. La réappropriation du corps passe également par du temps pris pour soi. Le Wellness Lab de l’Hôpital Américain de Paris propose un centre pluridisciplinaire avec notamment des socio-esthéticiennes qui prodiguent des conseils aux patientes en matière de peau, cheveux et ongles entre autres, mais aussi une approche psycho-corporelle avec sexologue, psychologue, méditation, yoga, pilate ou acupuncture.
Pr Mahasti Saghatchian, oncologue à l’hôpital américain de Paris et spécialisée dans la prise en charge des femmes atteintes de cancer du sein et au Dr Damien Mascret, médecin généraliste et sexologue, auteur du livre « Le cycle du désir » aux Editions du Faubourg à paraître en 2023.