Dépistage, immunothérapie, oncopédiatrie…: des avancées majeures dans la lutte contre le cancer
Innovations thérapeutiques majeures, outils de dépistage plus performants, meilleur accompagnement des patients… La lutte contre les cancers ne cesse de marquer des points.
Le taux de survie à cinq ans s’est amélioré pour 45 types de tumeur ou de cancer du sang sur 59 étudiés. C’est ce qu’a constaté l’Institut national du cancer (Inca) en suivant des patients diagnostiqués entre 1989 et 2015. Ces vingt dernières années, les gains ont même été spectaculaires pour les leucémies, les lymphomes et le cancer de la prostate. Grâce aux améliorations de dépistage et de traitement, plus de 50% des cancers chez la femme et 40 % chez l’homme sont désormais considérés comme des maladies de bon pronostic, c’est-à-dire que les chances de survie cinq ans après son diagnostic sont supérieures à 65 %. Toutefois, les cancers associés à l’alcool et au tabac (œsophage, foie, poumon) restent globalement de mauvais pronostic, chez l’homme comme chez la femme, renforçant l’importance de la prévention de ces consommations addictives.
Déceler une tumeur par prise de sang, un potentiel immense
« De plus en plus de tests en développement permettent de détecter, dans le sang mais aussi dans les urines ou les expectorations, les fragments d’ADN ou d’ARN produits par les cellules et de repérer si certaines sont en train de basculer dans un processus tumoral », explique le Pr Bruno Quesnel, directeur de l’institut thématique cancer de l’Inserm et du pôle recherche et innovation à l’Institut national du cancer. Le potentiel clinique de ce dépistage pratique et précoce est immense, d’autant que l’intelligence artificielle va aider à affiner les algorithmes de détection. Mais la phase de démonstration de la sensibilité, de la spécificité et du caractère prédictif des tests pourrait être très longue. Il faut au minimum cinq à dix ans d’études cliniques pour prouver qu’un test de dépistage a bien permis de repérer une lésion précancéreuse. Et démontrer ainsi que la retirer est bénéfique pour la santé de la personne. « Il n’y aurait aucun intérêt à détecter des lésions qui n’évolueraient pas du vivant de la personne, précise le chercheur. On a même découvert ces dernières années que beaucoup de cancers sont métastatiques très tôt, généralement sous forme de cellules malignes isolées et disséminées dans divers tissus. Mais elles peuvent rester dormantes longtemps et finalement ne pas avoir d’effet sur l’espérance de vie du malade. »
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L’oncopédiatrie est sortie de l’oubli
Les cancers pédiatriques (il en existe plus d’une centaine) sont des maladies rares puisqu’ils représentent environ 1 % de l’ensemble des tumeurs. Pendant longtemps, les industriels du médicament se sont donc désintéressés de ce marché étroit et risqué. Depuis la fin des années 2000, sous l’impulsion des associations de parents, les réglementations américaine et européenne changent. Elles incitent ainsi les laboratoires pharmaceutiques, par des extensions de brevets, à réaliser des essais cliniques pédiatriques si la mutation cible de la molécule qu’ils testent chez l’adulte est présente aussi dans des tumeurs de l’enfant. Aujourd’hui, près de 80 % des cancers de l’enfant guérissent, contre 50 % chez l’adulte. « Schématiquement, le cancer chez l’adulte est une maladie du vieillissement cellulaire, alors que chez l’enfant ce sont au contraire des tumeurs du développement, des mutations et des anomalies de réparation de l’ADN qui surviennent aléatoirement au cours du processus de différenciation des cellules pendant le développement embryonnaire », explique le Pr Olivier Delattre, pédiatre oncologue et directeur de l’unité cancer, hétérogénéité, instabilité et plasticité à l’Institut Curie. Ces tumeurs pédiatriques au développement très rapide se révèlent donc plus sensibles aux traitements que celles des adultes. Mais plus de la moitié des enfants guéris gardent des séquelles à vie de leurs séances de chimiothérapie – et surtout de radiothérapie. L’enjeu est donc désormais de développer des traitements moins toxiques.
Des effets secondaires mieux pris en charge
Alléger le quotidien avec la maladie fait désormais partie intégrante du parcours de soins. Les symptômes signalés par les patients sont devenus un champ de recherche à part entière. Dans les congrès internationaux, les oncologues présentent des études sur l’intérêt de l’acupuncture contre les bouffées de chaleur provoquées par l’hormonothérapie ou les sécheresses buccales causées par les rayons. Ils exposent aussi les bénéfices du cannabis thérapeutique contre les nausées et vomissements liés aux chimiothérapies. « L’activité physique adaptée et la démonstration de son effet sur la douleur et la fatigue – puis sur la survie globale et le risque de récidive dans de nombreux cancers – ont marqué un tournant. On ne peut plus considérer les soins de support comme la cerise sur le gâteau puisqu’ils sont une part du traitement qui a prouvé son efficacité », affirme la Pre Carole Bouleuc, cheffe du département des soins de support à l’Institut Curie, à Paris. Depuis 2017, l’accompagnement psychologique de la personne et de ses proches, le soutien social, la prise en charge de la douleur, celle des troubles de la fertilité et de la sexualité, les conseils d’hygiène diététique et nutritionnelle et l’activité physique adaptée doivent être assurés dans les centres de cancérologie. Ces différents soins pourraient même bientôt devenir, pour un établissement de santé, une condition sine qua non de l’autorisation ministérielle à prendre en charge les cancers.
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Le recours à l’intelligence artificielle va s’intensifier
La plupart des examens médicaux, radios, scanners, mammographies, sont aujourd’hui sous format numérique. Les capacités de compilation de l’intelligence artificielle (IA) sont donc déjà mises à profit pour améliorer la puissance des outils de dépistage. Lesquels pourraient même, demain, remplacer l’œil humain dans les déserts médicaux en manque de radiologues aguerris à la détection de tumeurs du sein par exemple. « Des études sortent tous les mois sur de nouvelles modalités d’usage de l’IA en cancérologie. Mais, là encore, le frein est la démonstration de l’incidence sur la survie et sur les options de traitement, souligne le Pr Bruno Quesnel. À mon sens, le temps que les choses entrent vraiment dans la pratique, l’IA sera la révolution de la prochaine décennie. »
Vers un dépistage organisé du cancer du poumon
« À partir du second semestre 2024, plusieurs régions volontaires vont commencer à expérimenter le dépistage du cancer du poumon », annonce le Pr Sébastien Couraud, chef du service de pneumologie et cancérologie thoracique au CHU Lyon-Sud (Rhône) et membre du groupe de travail de l’Inca sur ce futur dispositif. Comment définir la quantité et la durée de tabagisme à partir desquelles ce dépistage par scanner du thorax sera pertinent ? Comment toucher les populations les plus précaires, qui sont à la fois celles qui fument le plus et les plus éloignées du système de santé ? Cela fait partie des questions clés de la phase d’expérimentations régionales, avant la généralisation à tout le territoire. Objectif ? Détecter davantage de tumeurs pulmonaires à des stades plus précoces. Les attentes sont fortes car le cancer du poumon est aujourd’hui le plus meurtrier en France chez les hommes et devrait le devenir en 2025 chez les femmes.
Réveiller l’immunité, la stratégie révolutionnaire
Aider les cellules immunitaires à mieux reconnaître les cellules cancéreuses et ainsi à les détruire le plus vite possible: le concept même de l’immunothérapie est un changement de paradigme en cancérologie. Le premier à en avoir bénéficié est le mélanome aux débuts des années 2010, avec des résultats spectaculaires. Depuis, les tumeurs du poumon, du rein, du sein ou encore récemment de l’utérus se sont révélées particulièrement réceptives à ce type de traitement. Le principe a été poussé jusqu’au concept du vaccin thérapeutique. Il permet d’éduquer les lymphocytes T du patient (les cellules tueuses des défenses immunitaires) à reconnaître des fragments de la tumeur pour les détruire et réduire ainsi fortement le risque de métastases et de récidives. « Les séquences thérapeutiques, c’est-à-dire l’ordre dans lequel on utilise les différentes options, sont aussi en cours de révolution, explique Sébastien Couraud. Dans un certain nombre de cas, le fait d’utiliser l’immunothérapie avant une intervention chirurgicale – ce que l’on appelle « l’immunothérapie néoadjuvante » – permet de détruire le cancer parfois totalement. »
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Séquencer les tumeurs pour personnaliser les traitements
HER2, KRAS, EGFR… Les oncologues parlent aujourd’hui en sigles. Et pour cause, ces anomalies ou mutations, présentes ou non dans les tumeurs, permettent de guider le choix des traitements dès l’étape de la biopsie. « En une semaine, grâce aux techniques de séquençage, on dispose de la liste des anomalies connues présentes dans la tumeur du patient. Or celles-ci sont comparables à des serrures. Si l’on a la bonne clé, elle ouvre la porte de la cellule cancéreuse. On peut alors la détruire grâce à ce que l’on nomme une « thérapie ciblée » », précise le Pr Sébastien Couraud. Énorme avantage en matière d’effets secondaires par rapport aux chimiothérapies classiques qui agissent comme des armes de destruction massive (y compris de cellules saines), ce mode de traitement ne s’attaque qu’aux cellules tumorales porteuses de l’anomalie génétique visée. Depuis le tournant des années 2000, cette approche de profilage des tumeurs et le développement des molécules associées à chaque anomalie ont permis des gains d’efficacité considérables contre certaines formes de cancers du sein, du poumon, du système digestif, du sang ou encore dernièrement de la vessie.
La parole se libère, enfin…
Près de 1200 Français apprennent chaque jour leur diagnostic de cancer. Aujourd’hui, la maladie est un véritable sujet de société, auquel sont consacrés expositions, albums illustrés, séries, films, podcasts… Les personnalités touchées ne le cachent plus et médiatisent même les étapes de leur combat, comme le chanteur Florent Pagny, la comédienne Clémentine Célarié ou le journaliste sportif Matthieu Lartot. Jusqu’ici, le monde de l’entreprise était resté timide face à cette maladie qui concerne pourtant un nombre grandissant de travailleurs, sur le plan personnel ou en tant qu’aidants. L’an dernier, le président de Publicis, Arthur Sadoun, a brisé l’omerta en révélant son combat contre un cancer lié au papillomavirus. Il entend aujourd’hui changer les mentalités en ralliant les plus grands groupes internationaux à son initiative, Working with cancer.
Les facteurs de risques évitables
41 % des nouveaux cas de cancer sont liés à des facteurs de risques évitables. Pour les hommes, il s’agit principalement du tabac (29 %), de l’alcool (8,5 %) et de l’alimentation déséquilibrée (5,7 %) tandis que chez les femmes, ce sont le tabac (9,3 %), l’alcool (7,5 %), le surpoids et l’obésité (6,8 %). (CIRC 2016)
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