Des clichés sur la masculinité qui ont la peau dure
Face à la maladie, deux autres préoccupations atteignent douloureusement les hommes : l’atteinte à leur intégrité physique et à leur dignité et la perte d’autonomie. « Ma première honte, ç’a été de confier mon corps nu, en mauvais état, au regard de jeunes infirmières. J’avais perdu 25 kg, mes muscles avaient fondu, je me voyais flasque. Tous les soins ont été un calvaire. C’est une infirmière un peu plus âgée qui m’a dit : c’est notre travail, laissez-nous le faire », se remémore Jean-Louis Gay. De retour chez lui, il supporte mal l’idée que son épouse devienne sa garde-malade : « J’avais envie de prouver que je pouvais me débrouiller seul. » Seulement, avec les aléas de la maladie et du parcours de soins, il a bien fallu qu’elle prenne la main et gère tout le quotidien. « J’ai eu beaucoup de mal à l’accepter. » Lui, l’homme d’affaires, le décisionnaire, était devenu dépendant, et « par moments cela m’énervait, alors que ma femme était dévouée. Je m’en voulais… Pour les aidants, le juste milieu est dur à trouver ». Quand il évoque cet épisode de la vie de son couple, la voix de Jean-Louis Gay s’étrangle au téléphone : « À cause de la maladie, j’ai mis la vie de mon épouse entre parenthèses. Ça me mine encore. »
« Une éducation quasi séculaire a été donnée aux hommes qui leur enjoint de cacher leur vulnérabilité, leurs fragilités et leur impuissance », relève la psychologue et psychanalyste Catherine Grangeard. Si naître homme est un fait biologique, être viril est une construction sociale qui véhicule des notions telles que la force, le pouvoir, la réussite, la conquête, y compris sexuelle… Ces normes culturelles constituent encore des freins à la libération de la parole masculine. Non seulement les hommes reconnaissent plus difficilement qu’ils vont mal et ont moins recours aux soins médicaux que les femmes (jusqu’à l’âge de 65 ans, selon l’Insee), mais aussi ils sont plus enclins au suicide (75 % des personnes qui se suicident en France sont des hommes), parce qu’ils ne s’autorisent pas à parler et ne font que très rarement appel à des structures d’aide. Dans le domaine du cancer, le contraste entre hommes et femmes dans l’approche de la maladie se mesure chaque année. Alors que le mouvement Octobre rose, destiné à inciter les femmes au dépistage du cancer du sein et à récolter des fonds pour la recherche, bénéficie d’un puissant écho et s’est imposé comme un rendez-vous incontournable et presque banal, l’écrasante majorité des Français ignore que le mois de novembre est dédié à son pendant masculin. Movember, ou Novembre bleu, a pour but de sensibiliser l’opinion publique aux maladies masculines telles que les cancers de la prostate et des testicules, mais aussi à la santé mentale et à la prévention du suicide. Son signe de ralliement ? La moustache. Et si, pour contribuer à changer le triste visage de la santé masculine, les filles apportaient leur soutien à la cause des hommes en portant… des bacchantes postiches ? ! Ne serait-ce qu’une heure ? Allez, chiche !
Sandra Karas