La détresse des malades atteints d’un cancer en temps de COVID-19
La pandémie complexifie encore plus le difficile parcours des patients atteints d’un cancer.
Rencontrer son médecin sans le support d’un membre de sa famille, effectuer ses traitements seul, attendre également seul dans la salle d’attente… Cette distanciation forcée a des impacts sur le chemin de soins des malades atteints d’un cancer.
C’est ce que soulignent des médecins radiologistes américains affiliés à l’Oregon Health & Science University, à Portland, dans un texte d’analyse publié récemment dans JAMA. Ils rappellent qu’en temps normal (avant la COVID-19), 20 à 47% des cancéreux sont en détresse psychologique, des taux qui ont probablement cru avec la pandémie.
Selon la Dre Jacynthe Rivest, dans un contexte pré-pandémie, environ 40% des Canadiens atteints d’un cancer souffrent de détresse, un aspect suivi depuis une quinzaine d’années en oncologie psychociale. «Nous sommes inquiets du niveau de détresse qui aurait augmenté, dit la psychiatre spécialisée en oncologie au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). C’est déjà un lot d’inquiétude en temps normal d’être atteint du cancer. C’est encore plus stressant pendant cette période [de pandémie]», indique-t-elle.
Les médecins de l’article de JAMA observent des risques particulièrement accrus de souffrir de détresse chez ceux qui ont déjà eu des troubles psychiatriques, de dépression ou de toxicomanie dans le passé. Ils mentionnent aussi que le fait d’être jeune, d’être une femme et de vivre seul augmentent les risques.
Les personnes atteintes d’un cancer vivent de plus l’isolement entre les traitements et les rendez-vous: celui de devoir limiter leurs contacts avec des membres de leur famille ou des amis, en raison de leur plus grande vulnérabilité. En juin, une étude parue dans The Lancet a montré que 13% des 928 patients atteints de cancers qu’ils ont suivi sont décédés dans les 30 jours suivant, un taux beaucoup plus élevé que chez la population générale.
Cette étude s’est penchée sur des cas américains, espagnols et canadiens. Le taux de mortalité était plus faible pour les patients canadiens; les auteurs avancent que les différences régionales peuvent être dues à la réponse d’un pays, d’un État ou d’une province face à la crise ou au moment où s’est produite celle-ci. Les auteurs de l’article du Lancet mettent de l’avant la nécessité de réaliser des études supplémentaires et le suivi à plus long terme nécessaire pour comprendre et obtenir un portrait complet de la COVID-19 sur les patients atteins d’un cancer.
Sentiment d’abandon
Pour atténuer les effets de la détresse psychologique, à défaut de pouvoir être près de leur patient, les auteurs de l’article du JAMA suggèrent aux professionnels de la santé de renforcer le lien soignant-patient avec des rencontres téléphoniques ou virtuelles. Les médecins peuvent alors être à l’écoute des préoccupations de leurs patients et contrebalancer leur sentiment d’être laissé à l’abandon.
Les équipes du CHUM en sont bien conscientes. «Lorsqu’une visite est reportée ou annulée, les patients ont moins accès à des services de soutien. On garde le lien avec eux avec la technologie», c’est-à-dire la télémédecine. La médecin fait remarquer qu’ils ont aussi pu maintenir, par exemple, des interventions de groupe de gestion de l’anxiété à distance, un moment d’échange important entre patients.
La Dre Jacynthe Rivest le rappelle : recevoir un diagnostic de cancer chamboule une vie. En temps de pandémie, le CHUM a mis en place des mesures pour protéger et continuer à recevoir les patients pour leur traitement. «Ceux-ci étaient rassurés par ces mesures et étaient dans une sorte de sanctuaire protégé», note la médecin. «Face au cancer, les gens font leurs traitements et les complètent pour ensuite avoir une vie plus normale. Malgré la pandémie, nous avons voulu maintenir cet espoir de qualité de vie», ajoute celle qui souligne le courage des patients qui venaient à l’hôpital pour leur traitement même au plus fort de la crise.
La pandémie amplifie le fardeau
Aux États-Unis, là où l’on ne voit pas de signe d’essoufflement à cette pandémie, plusieurs patients évitent de se rendre à l’hôpital pour obtenir un diagnostic ou se faire traiter. Mais l’attente d’un diagnostic peut avoir de lourdes conséquences pour un patient souffrant d’un cancer. En juin dernier, le magazine Science consacrait d’ailleurs son éditorial sur la COVID-19 et le cancer.
L’auteur, directeur de l’U.S. National Cancer Institute, a modélisé l’effet de la COVID-19 sur le dépistage et le traitement de deux types de cancer, soit le cancer du sein et le cancer colorectal, pour les dix prochaines années. Selon ses projections, il y aurait près de 10 000 décès supplémentaires causés par ces deux cancers.
L’article de Science relève aussi que les activités de recherche, qui ont été déviées en grande partie sur la recherche d’un traitement contre le coronavirus, doivent être temporaires, «car les essais sont le seul moyen de progresser dans la mise au point de nouvelles thérapies contre le cancer. Compte tenu du long délai entre la recherche fondamentale sur le cancer et les changements apportés aux soins, les effets de l’interruption de la recherche aujourd’hui pourraient entraîner un ralentissement de la recherche sur le cancer pendant de nombreuses années.»