LE CANCER DU SEIN HÉRÉDITAIRE : UN SÉISME PERSONNEL ET FAMILIAL
Les cancers du sein « héréditaires » représentent un véritable séisme psychologique pour les femmes qui y sont confrontées. Qu’elles soient malades ou porteuses d’une mutation génétique les prédisposant à la maladie, ces femmes doivent brutalement faire face aux conséquences personnelles et familiales de cette annonce. Pour les aider, l’Institut Curie a mis en place un suivi associant prise en charge médicale et soutien psychologique personnalisé.
Mis sous le feu des projecteurs avec la très médiatique double mammectomie d’Angelina Jolie, ces cancers demandent une prise en charge très particulière tant sur le plan thérapeutique que psychologique. Face à ces cancers, l’Institut Curie a mis en place un suivi particulier dès la consultation d’oncogénétique. Une initiative que nous vous présentons à travers les yeux des soignants et d’une patiente.
La consultation d’oncogénétique s’adresse à deux types de femmes
« Les consultations d’oncogénétique s’adressent à deux types de personnes : celles qui ont une histoire personnelle de cancer du sein ou des ovaires et celles qui sont dans une situation de prédisposition, due à leur histoire familiale », précise le Pr Stoppa-Lyonnet, chef du service d’oncogénétique1. Ces femmes (les hommes peuvent être atteints mais beaucoup plus rarement) sont donc adressées à l’Institut Curie dans un cadre préventif ou curatif (après le diagnostic).
En fonction de leur situation, plusieurs questions s’imposent rapidement à elles. Savoir ou ne pas savoir si l’on est porteur d’une mutation génétique ? Décider entre une ablation préventive des seins ou un suivi médical poussé lorsque la mutation est identifiée ? Dire ou ne pas dire à ses proches qu’ils encourent aussi un risque d’être porteurs du même risque de cancer ?…
« L’aide psychologique sera très différente selon la raison de la consultation et le stade du processus de dépistage ou de traitement », remarque la psychiatre Dr Sylvie Dolbeault, chef du département interdisciplinaire des soins de support pour le patient en oncologie (Disspo) à Curie2. Avant de faire le test de dépistage, une fois la mutation identifiée, avant de décider d’une mammectomie ou d’une ovariectomie préventive, une fois le cancer déclaré… Les angoisses des femmes peuvent être très diverses.
Les femmes préfèrent connaître la vérité pour mieux y faire face
En cas de doute, les femmes semblent vouloir connaître la vérité. Selon un sondage réalisé par Doctissimo3, près de 90 % des personnes avec des antécédents familiaux souhaitent savoir si elles sont porteuses d’un gène exposant à un très fort risque de développer la maladie. Réagir au résultat du test reste en revanche moins évident… Près de 56 % des sondés choisiraient en premier une surveillance rapprochée dans le cas de test positif, près de 41 % opteraient pour une ablation préventive des deux seins suivie de reconstruction.
Le vécu et la représentation de la maladie propre à chaque patiente entrent alors en jeu. « Ma décision était déjà prise, avant même les résultats du test génétique. Une aide psychologique était la bienvenue, mais pour moi c’était très clair. Je ne pouvais pas vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête », déclare ainsi Aurélie, 34 ans4. Porteuse d’une mutation du gène BRCA 1 (un facteur de risque très important de développer un cancer du sein5 et des ovaires), elle a opté en 2006 pour une double mammectomie préventive.
Le cas particulier des mammectomies préventives
« Une consultation psychologique est obligatoire dans le cas de mammectomies prophylactiques, c’est d’ailleurs le seul cas. Dans les autres, elle est proposée et conseillée, mais pas imposée« , précise le Pr Stoppa-Lyonnet. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette opération n’est pas forcément vécue comme l’épreuve la plus insurmontable pour les femmes qui consultent à Curie. « Souvent ces femmes ont déjà une représentation très traumatisante des cancers du sein. Elles ont vécu ce drame à travers un membre de la famille malade et sont très choquées », constate le Dr Dolbeault. « Les enjeux identitaires, de sexualité sont alors beaucoup moins forts que pour d’autres femmes ».
C’est le décès de sa mère en 2004, à l’âge de 51 ans, suite à un double cancer du sein et à un cancer des ovaires, qui a décidé Aurélie : « J’ai vu ma mère souffrir tellement des effets secondaires des chimiothérapies que le choix était très clair dans ma tête. Je ne voulais pas vivre ça, ces images m’ont marquée à vie. »
« Notre objectif dans les consultations de psy est toutefois d’aider à temporiser, explique la psychiatre de l’Institut Curie, afin que les femmes prennent des décisions posées, qu’elles ne regretteront pas par la suite« .
Féminité, maternité… Des options thérapeutiques lourdes de conséquences
Dans le cas de mutations héréditaires, les cancers de l’ovaire sont souvent associés aux cancers du sein. Concernant le sein, deux options sont proposées : la mammectomie ou une surveillance médicale très étroite. Pour l’ovaire en revanche, l’ovariectomie (ablation des ovaires)est recommandée mais c’est une décision qui dépend uniquement de la patiente, un suivi étant juste une alternative transitoire. Une opération tout aussi lourde de sens, qui touche cette fois à la maternité. « Je pense que ça doit être différent pour les femmes dont la mutation génétique a été diagnostiquée après avoir eu des enfants. En ce qui me concerne, je n’en ai pas, et du coup la décision est très difficile », confesse Aurélie. La jeune femme prévoit tout de même de subir cette opération préventive, d’ici deux ans. Avant cela, elle avoue vouloir un enfant.
Une perspective heureuse là-encore délicate : « Ma mère ne savait pas qu’elle était porteuse d’une mutation qu’elle pouvait me transmettre. Moi je le sais et je me demande comment régira mon enfant si je lui transmets. Est-ce qu’il m’en voudra ? Est-ce qu’il fera le choix de l’ablation préventive aussi ? Sinon, est-ce que je me sentirais responsable s’il tombe malade ?« .
Prédisposition génétique au cancer du sein : le poids de l’hérédité
Cette question de l’hérédité suscite une anxiété particulière pour les patientes : comment appréhender le risque de transmettre à leur descendance ces terribles mutations ou encore que d’autres membres de la famille non dépistés puissent aussi être porteurs ? « L’impact de la mutation pour les proches est un volet sur lequel on travaille beaucoup », reconnaît le Dr Dolbeault. « Intégrer l’information soi-même est déjà une chose. Il faut ensuite trouver comment en parler à ses proches. Nous ne pourrons jamais annuler l’anxiété qui est associée à de tels cas. Mais nous pouvons les aider à trouver les mots pour parler à leur famille de la manière la plus rassurante possible. » Une consultation commune peut d’ailleurs être proposée à cet effet au sein de l’Institut Curie, afin que soient abordées toutes ces problématiques en famille, avec l’aide d’un professionnel.
En cas de refus d’informer les proches d’un risque héréditaire…
Certaines femmes refusent d’en parler à leur famille. Une situation difficile car les facteurs de risque associés à ces prédisposition sont élevés… « Nous explorons alors le ressenti des patientes en fonction des relations avec leurs proches. Parfois, elles sont en conflit ; parfois, il y a beaucoup de non-dits… C’est aussi à nous de leur faire comprendre les enjeux de cette communication, l’importance que l’information soit transmise, le fait que l’on ne peut pas non plus attendre indéfiniment… » précise la psychiatre.
Dans ces cas bien précis, une nouvelle législation est entrée en vigueur en juin 2013 : « Dans le consentement à signer avant de faire le test de dépistage génétique, il est demandé de prévenir les apparentés en cas de test positif », résume la chef du service d’oncogénétique, le Pr Stoppa-Lyonnet. « Mais il ne nous est pas possible de forcer des patientes à le faire si jamais elles s’y refusent. Dans ce cas, elles engagent leur responsabilité civile. » Si cette annonce à la famille est trop difficile, une loi de 2011 autorise les médecins à effectuer cette démarche avec l’accord du patient.
« Lorsque les femmes viennent nous voir la première fois, on observe toujours un stress très important, qui s’estompe petit à petit », avoue le professeur Dominique Stoppa-Lyonnet, responsable de ces consultations. « Une proposition d’aide psychologique leur est systématiquement proposée dans notre service, mais elles ne font pas encore toutes la démarche », regrette-t-elle. Traitées à l’Institut Curie dans le cadre des consultations d’oncogénétique, de nombreuses jeunes femmes ont tout de même pu bénéficier de ce suivi pluridisciplinaire inédit, associant des entretiens psy en plus de l’approche médicale de pointe.