Les insuffisants cardiaques ont un risque accru de développer un cancer, justifiant d’intégrer le dépistage dans leur suivi
Les patients ayant une insuffisance cardiaque préexistante ont un risque accru de développer un nouveau cancer, la part attribuable des nouveaux cancers à l’insuffisance cardiaque s’élevant à 16,5%, selon une étude nationale française publiée dans l’European Journal of Preventive Cardiology.
Les cancers et l’insuffisance cardiaque ont plusieurs facteurs de risque et voies de signalisation en commun. Si les effets cardiotoxiques des traitements anticancéreux sont bien documentés, les données concernant inversement le risque de développer un cancer en présence d’une insuffisance cardiaque sont conflictuelles, soulignent les auteurs.
Mariana Mirabel de l’université Paris Cité et de l’Inserm et ses collègues ont mené une étude de cohorte constituée à partir du système national des données de santé (SNDS), incluant les patients ayant eu un premier diagnostic d’insuffisance cardiaque entre 2021 et 2019 sans antécédent de cancer avant ce diagnostic.
Au total, 330.867 patients insuffisants cardiaques ont été appariés chacun à trois contrôles (soit 992.601 contrôles au total) sans insuffisance cardiaque ni cancer, en fonction de l’âge et du sexe. Un premier cancer a été diagnostiqué chez 8,5% des insuffisants cardiaques sur un suivi moyen de 4,3 ans, contre 7,8% des contrôles sur un suivi moyen de 4,9 ans. L’incidence des cancers était de 21,9 pour 1.000 personnes-années contre 17,4 pour 1.000 personnes-années.
Après ajustement sur plusieurs facteurs de confusion, le risque de cancer était significativement augmenté de 6% chez les insuffisants cardiaques par rapport aux contrôles. L’augmentation du risque était observée pour la plupart des cancers solides, notamment le cancer colorectal (+21%), le cancer du poumon (+34%), ainsi que le cancer du sein chez les femmes (+8%). Le risque de cancer hématologique était augmenté de 24%.
En revanche, le risque de cancer de la prostate chez les hommes n’était pas augmenté, et même diminué en cas d’insuffisance cardiaque (-10%). Cela peut s’expliquer par: un biais de survie lié au fait que les insuffisants cardiaques peuvent mourir avant qu’un cancer de la prostate soit diagnostiqué; le fait que les médecins ne dépistent pas le cancer de la prostate chez les insuffisants cardiaques étant donné leur espérance de vie limitée; mais aussi de plus faibles taux de testostérone chez les insuffisants cardiaques, entraînant une moindre incidence du cancer de la prostate, évoquent les auteurs.
Selon les estimations des chercheurs, 16,5% des nouveaux cas de cancers solides sont directement attribuables à l’insuffisance cardiaque. Par ailleurs, la mortalité était significativement plus élevée chez les insuffisants cardiaques (37,7% contre 32,7%), avec un risque relatif approché significativement augmenté de 55%. Et parmi les participants ayant eu un cancer au cours du suivi, le risque de décès de toutes causes était également significativement plus élevé chez les insuffisants cardiaques que chez les contrôles (+33%).
Ces chiffres mettent en exergue les implications de cette étude en matière de santé publique, commentent-ils: actuellement, aucune stratégie de dépistage des cancers n’est préconisée dans les recommandations de prise en charge des insuffisants cardiaques. De telles stratégies devraient être recommandées chez ces patients, suggèrent-ils. « Ces résultats soulignent […] la nécessité d’une approche transversale entre cardiologie et oncologie, ouvrant la voie à de nouvelles stratégies de prévention et à une prise en charge plus globale des patients atteints de maladies chroniques », est-il souligné dans un communiqué de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) annonçant ces résultats, diffusé lundi 12 mai.
(European Journal of Preventive Cardiology,