Chimiothérapie : quand soigner le cancer peut aussi « vieillir » vos cellules saines — ce que révèle une étude révolutionnaire par Brice Louvet

Chimiothérapie : quand soigner le cancer peut aussi « vieillir » vos cellules saines — ce que révèle une étude révolutionnaire

Le cancer est une bataille acharnée entre les traitements agressifs et la survie des patients. Parmi les armes les plus courantes, la chimiothérapie joue un rôle essentiel en ciblant les cellules cancéreuses à division rapide. Pourtant, un paradoxe persiste : ces médicaments, tout en détruisant les tumeurs, peuvent aussi endommager les cellules saines, en particulier celles qui se renouvellent rapidement, comme les cellules sanguines. Une nouvelle étude publiée dans Nature Genetics met en lumière ce double tranchant avec une précision inédite, en identifiant comment certains traitements accélèrent « artificiellement » le vieillissement des cellules saines, et ce, de façon variable selon les médicaments utilisés.

Comprendre l’impact de la chimiothérapie sur les cellules saines

La chimiothérapie agit en provoquant des cassures et des mutations dans l’ADN des cellules, entraînant la mort des cellules tumorales. Or, certaines cellules normales, notamment les cellules souches sanguines, partagent cette caractéristique de division rapide. Leur ADN peut aussi être abîmé, entraînant des mutations qui s’accumulent au fil du temps.

Pour évaluer précisément cet effet, des chercheurs ont analysé le sang de 23 patients ayant reçu divers traitements de chimiothérapie et l’ont comparé à celui de 9 individus sains. Leur approche innovante consistait à isoler et séquencer l’ADN des cellules souches sanguines, pour détecter les « signatures mutationnelles » — ces schémas particuliers de mutations qui reflètent le type de dommages causés par différents médicaments.

Quatre nouvelles signatures mutationnelles liées à la chimiothérapie

L’étude a révélé l’existence de quatre nouvelles signatures mutationnelles associées à la chimiothérapie, jusque-là inconnues dans la base de données mondiale COSMIC. Ces mutations sont présentes uniquement chez les patients traités, et varient selon les médicaments administrés.

Par exemple, certains agents alkylants et composés à base de platine, couramment utilisés, sont responsables de plus de mutations, tandis que d’autres médicaments comme le cyclophosphamide génèrent beaucoup moins d’altérations génétiques, ce qui pourrait expliquer pourquoi le risque de cancer secondaire est plus faible avec ce dernier.

Quand les cellules sanguines paraissent plus âgées qu’elles ne le sont

L’accumulation de mutations dans l’ADN est un processus naturel lié au vieillissement. Cependant, chez les patients traités par chimiothérapie, ce vieillissement génétique est artificiellement accéléré. Dans l’étude, un enfant de 3 ans sous chimiothérapie présentait dix fois plus de mutations dans ses cellules sanguines que des enfants sains du même âge. En termes simples, ses cellules semblaient génétiquement plus vieilles que celles d’une personne de 80 ans n’ayant jamais reçu de traitement.

Cette « vieillesse » artificielle ne signifie pas forcément que les cellules vont se transformer en cancer, mais elles accumulent un risque accru de tumeurs secondaires. Ce risque est un facteur crucial dans la gestion à long terme des patients, notamment ceux qui survivent plusieurs années après le traitement initial.

Vers une chimiothérapie plus sûre : l’espoir des traitements personnalisés

Ces découvertes ouvrent la voie à une meilleure sélection des protocoles de chimiothérapie. En comprenant quels médicaments causent moins de dommages génétiques, les médecins pourraient choisir des traitements aussi efficaces contre le cancer, mais moins nocifs pour les cellules saines.

Par exemple, dans certains lymphomes hodgkiniens, des combinaisons alternatives de chimiothérapie ont montré une efficacité équivalente tout en réduisant les mutations secondaires. Cela est particulièrement encourageant pour les cancers avec un bon taux de guérison, où la prévention des effets secondaires à long terme est primordiale.

Cependant, dans des cancers plus agressifs avec des taux de survie plus faibles, il faut d’abord assurer la guérison avant d’optimiser la toxicité des traitements. Comme le souligne un expert du Memorial Sloan Kettering Cancer Center, il est indispensable de guérir le cancer avant de réduire la toxicité.

Limites et perspectives futures

L’étude présente certaines limites, notamment la taille modeste de l’échantillon et le fait que les analyses ont été faites sur des cellules sanguines en éprouvette, ce qui ne reproduit pas parfaitement l’environnement naturel du corps. Les chercheurs souhaitent étendre leurs travaux à des cohortes plus larges et utiliser des échantillons de sang circulant.

Malgré ces limites, ce travail constitue une avancée majeure dans la compréhension des effets collatéraux de la chimiothérapie, et pourrait bientôt contribuer à une médecine plus personnalisée, alliant efficacité et protection des cellules saines.

Brice Louvet

 

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