L’alimentation peut-elle vraiment influencer le développement du cancer ?

L’alimentation peut-elle vraiment influencer le développement du cancer ?

Peut-on prévenir ou aggraver un cancer par ce que l’on met dans notre assiette ? Face à une avalanche d’idées reçues, une nouvelle étude relance le débat sur le rôle précis des nutriments. Ce que dit vraiment la science.

Des millions de personnes cherchent à mieux manger pour prévenir le cancer ou accompagner les traitements. Pourtant, entre conseils contradictoires, régimes extrêmes et discours anxiogènes, il devient difficile de distinguer les faits établis des idées reçues. Une étude récente a mis en lumière le rôle possible d’un nutriment végétal, la zéaxanthine, dans le renforcement de l’immunité face aux tumeurs.

Ces résultats relancent une question essentielle : l’alimentation peut-elle réellement peser dans la lutte contre le cancer ? Pour y voir clair, nous avons interrogé le Dr Didier Bourgeois, oncologue et président de l’Institut du Sein Henri Hartmann, afin de replacer ces découvertes dans un cadre médical rigoureux. À partir de là, il devient essentiel de confronter les certitudes populaires aux preuves scientifiques, sans simplification excessive ni promesses infondées.

Comprendre le cancer au prisme de facteurs multiples

« Réduire l’oncologie à une seule et unique cause est une erreur majeure, car il s’agit d’une pathologie multifactorielle impliquant de nombreux mécanismes incluant la génétique, l’environnement, l’alimentation et notre mode de vie », affirme le Dr Didier Bourgeois. Ce constat rappelle que l’alimentation, bien qu’importante, ne saurait être la seule clé de compréhension du cancer.

Il insiste sur la complexité de cette relation : « Notre patrimoine génétique c’est-à-dire la carte-mère de notre corps va être modulé, influencé par l’épigénétique. Il faut considérer que l’expression d’un gène déviant va pouvoir se voir modulée par notre environnement, notre mode de vie et cela dans un sens positif ou négatif ».

L’alimentation joue ici un rôle indirect, mais déterminant. Certains apports nutritionnels ont un effet favorable. « Cette modulation d’expression va être influencée par la consommation d’antioxydants neutralisant les radicaux libres, par la consommation de certains oligoéléments comme le sélénium qui va renforcer nos défenses immunitaires, par la lutte contre le déficit en vitamine D ou la consommation en oméga 3 ».

Enfin, il souligne l’importance du microbiote : « Le rôle majeur de notre microbiote intestinal prend aussi une place considérable dans cette analyse multifactorielle et personnalisée dans la prise en charge des cancers. Ce microbiote est une interface majeure entre notre environnement et nos cellules ».

Des aliments vraiment cancérigènes ou simplement associés à des risques accrus ?

Beaucoup d’aliments sont considérés comme cancérigènes, mais rares sont ceux qui le sont formellement selon les critères scientifiques. Les preuves les plus solides concernent les viandes transformées, classées par le CIRC (OMS) comme cancérigènes (groupe 1), notamment pour le cancer colorectal. Les charcuteries, riches en nitrites, favorisent la formation de composés N-nitrosés. Selon le site Cancer.ca, une consommation de 50 g par jour augmenterait le risque de 18 %.

Les viandes rouges, elles, sont « probablement cancérogènes » (groupe 2A). Le Dr Bourgeois, sans les condamner totalement, appelle à la modération : « Comme toujours la raison doit l’emporter. [En d’autres termes : une consommation raisonnée en privilégiant les produits non transformés] ».

Autre facteur de risque : les modes de cuisson. Des études relayées par le Washington Post rappellent que la cuisson à haute température, comme le barbecue ou le grill, génère des composés toxiques (HAP et amines hétérocycliques). Ces molécules sont mutagènes et augmentent le risque de mutations de l’ADN.

Pour le Dr Bourgeois, le danger ne vient pas de l’aliment isolé. Il vient de son association à un ensemble de facteurs délétères. « Elle va aussi être modifiée de façon négative par la consommation de tabac ou d’alcool ou par l’exposition à des produits cancérigènes ou à des perturbateurs endocriniens ».

Dans cette perspective, il appelle à repenser la cancérologie comme une discipline de terrain. « La cancérologie ne se résume pas à traiter une maladie isolée. Mais c’est considérer une approche d’abord préventive de cette pathologie que j’appellerai bienveillante de notre corps. Et cela sans culpabiliser les patients atteints de cette maladie ».

Régimes « anti-cancer » et exclusions alimentaires : attention aux dogmes

Face à la maladie, certaines personnes adoptent des régimes restrictifs radicaux, en espérant priver la tumeur de ressources. C’est notamment le cas de ceux qui bannissent totalement le sucre. Pour le Dr Bourgeois, cette vision est trop simpliste. « Il ne s’agit bien évidemment de supprimer complètement le sucre au motif que nos cellules et en particulier les cellules cancéreuses ont besoin de sucre pour produire de l’énergie et se diviser. Les mécanismes d’apoptose et de mort cellulaire ne passent pas par cette voie exclusive de suppression du sucre ».

Il reconnaît cependant un lien indirect entre sucre et risque accru de cancer. « Par contre, il est connu depuis longtemps que l’excès de sucre provoquant surpoids et obésité est un facteur de risque avéré pour de nombreux cancers. J’en veux pour preuve une enzyme l’aromatase présente entre autres dans le tissu adipeux. Il va produire des œstrogènes et donc augmenter le risque de cancer du sein ». Il ajoute : « L’excès de sucre va être aussi responsable d’un hyperinsulinisme et d’une résistance à l’insuline source d’un état inflammatoire propice au développement de cancers ».

Les produits laitiers, eux aussi parfois exclus, ne sont pas diabolisés par l’oncologue. « Pour ce qui est des produits laitiers, je serai encore plus mesuré. On peut souligner le rôle favorable de ces produits dans l’élaboration d’un microbiote nécessaire à notre équilibre général et intestinal ». Il met en garde contre le dogmatisme qui dévie de la réalité scientifique

Vers une nutrition ciblée fondée sur les nutriments bioactifs

La compréhension des interactions entre nutrition et cancer s’affine. Les chercheurs s’éloignent des grandes recommandations générales pour explorer des nutriments spécifiques. Le Dr Bourgeois explique : « Nous arriverons à mettre en place non seulement des lignes générales de bonnes pratiques nutritionnelles, mais aussi des conseils plus personnalisés en fonction de nos modes de vie qui sont en train de changer ». Cette orientation vers une nutrition ciblée ouvre des pistes prometteuses.

La zéaxanthine correspond à un caroténoïde présent dans le maïs, les épinards ou le chou kalé. Les chercheurs l’étudie pour ses effets antioxydants et sa capacité à réduire le stress oxydatif intracellulaire. Un facteur connu de mutation de l’ADN. L’American Institute for Cancer Research (AICR) précise que des apports élevés en caroténoïdes issus de l’alimentation, et non de suppléments, sont associés à une réduction du risque de cancers digestifs. La zéaxanthine, en particulier, pourrait jouer un rôle dans la modulation du microenvironnement tumoral, en protégeant les cellules saines et en soutenant la réponse immunitaire locale.

En 2025, des chercheurs ont montré que l’indole-3-carbinol ralentirait la croissance du cancer colorectal chez la souris. Ce composé naturel se trouve dans les choux et brocolis. Il agit en réactivant une fonction de protection naturelle de l’organisme, souvent désactivée dans les cellules cancéreuses. L’étude a également révélé que cette molécule pouvait renforcer l’efficacité de certains traitements d’immunothérapie, sans effets secondaires notables.

Ces résultats suggèrent que certains nutriments végétaux pourraient, à l’avenir, soutenir les thérapies anticancer classiques. Pour le Dr Didier Bourgeois, cette direction s’inscrit dans une vision plus fine de la prise en charge : « Cette approche plus personnalisée de la cancérogenèse nous amène à une analyse plus poussée pour définir […] des moyens de diminuer l’incidence de certains cancers ou de diminuer le risque de récidive »

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