Cancer : la vérité sur le jeûne

Cancer : la vérité sur le jeûne

On prête à cette pratique à la mode de multiples vertus, même pour les personnes en traitement de cancer. Sont-elles réelles ? Prouvées scientifiquement ? L’exercice est-il sans danger ? Réponses.

Détox, perte de poids, quête personnelle, spirituelle ou religieuse… à chacun ses raisons de se lancer dans un jeûne . Selon un sondage Ipsos publié dans Le Parisien en mars 2022 , 27 % des Français déclarent s’y adonner, de façon régulière ou occasionnelle. Que ce soit dans une version longue (jusqu’à trois semaines), courte (entre un et six jours) ou intermittente (qui consiste à faire des pauses d’environ dix à douze heures entre les repas), la pratique connaît depuis le début des années 2000 une vogue certaine. Et, dans la communauté des malades de cancer, elle fait aussi des adeptes.

Sur les réseaux sociaux et les forums en ligne, de nombreux posts et commentaires vantent les bénéfices ressentis du jeûne sur les effets secondaires de la chimio . Certains patients assurent même qu’il aurait permis d’améliorer l’efficacité de leurs traitements, ou de détoxifier leur organisme après.

Bruno Raynard, chef du service de diététique et nutrition de Gustave-Roussy , remet les pendules à l’heure de la science : « Je ne nie pas la réalité d’une femme qui, après un jeûne, a observé des améliorations. Mais les cas individuels ne constituent pas une généralité. Actuellement, ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas d’études scientifiques qui prouvent que le jeûne soit bénéfique pour les patients atteints de cancer, quel qu’en soit l’objectif. 

Aucune preuve du bénéfice du jeûne pour lutter contre le cancer

Pourtant, c’est bien un scientifique qui a popularisé cette idée : Valter Longo, professeur de gérontologie et de sciences biologiques à la Leonard Davis School of Gerontology , de l’université de Californie du Sud (États-Unis), également directeur du programme « Oncologie et longévité » à l’institut Firc d’oncologie moléculaire de Milan (Ifom, Italie).

Son article a eu un grand écho médiatique au début des années 2000, qui démontrait que chez les souris ayant jeûné quarante-huit heures, avant et pendant un traitement par chimiothérapie, le cancer régressait. Ce qui n’était pas le cas chez celles qui mangeaient normalement. De là à extrapoler ce résultat à l’homme, le pas a vite été franchi… Or c’était ignorer un principe scientifique essentiel : se fonder sur des études précliniques, c’est-à-dire fait sur des animaux, ne suffit pas pour atteindre la preuve scientifique.

« Les résultats obtenus chez les animaux ne sont pas forcément valables chez l’homme. Pour constituer une preuve au niveau scientifique, il faut plusieurs études précliniques et cliniques avec des résultats similaires. Ce n’est pas le cas concernant le jeûne » , confirme Stéphane Servais, enseignant chercheur à l’université de Tours , membre de l’unité de recherche de l’Inserm UMR 1069 , l’équipe nutrition, croissance et cancer.

Dans son rapport2 publié en 2017 et qui fait toujours référence , le réseau NACRe (nutrition, activité physique, cancer, recherche) a synthétisé l’ensemble des études disponibles sur le sujet, après les avoir passés en revue. Les 200 pratiqués sur le jeûne et le cancer chez les animaux montrent des résultats très hétérogènes. Quant à celles sur le jeûne chez les patients atteints de cancer, elles restent rares dans la littérature scientifique. Et ce qu’il s’agisse de mesurer l’interaction avec les traitements ou le rapport bénéfices-risques de cette pratique.

De surcroît, ces études présentent de nombreux biais : exemptes de contrôle ou mal contrôlés, elles concernent de petits échantillons et sont entachées de problèmes de méthodologie… « Aucune ne prouve que le jeûne améliore l’efficacité des traitements ou qu’il réduit les effets secondaires de la chimiothérapie » , conclut Adrien Rossary, docteur en biologie et en pharmacie à l’université de Clermont-Auvergne , et membre de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. (Inrae).

Bien que ses résultats aient été battus en brèche par la communauté scientifique, le Pr Valter Longo continue à surfer sur la vogue du jeûne. Il est ainsi l’initiateur d’une gamme de compléments alimentaires simulant le jeûne, « conçu[s] pour réduire le bon nombre de [ses] risques en fournissant des macro- et micronutriments spécifiques » , peut-on lire sur le site de vente français de la marque. Son programme diététique s’adresse aux personnes (bien portantes) qui souhaitent préserver leur « capital santé et bien-être » et favoriser leur « longévité » . Hors promotion, la cure de cinq jours coûte… 209 euros.

« Ce qui est impressionnant, c’est qu’aucune des études précliniques ou cliniques de ces compléments alimentaires ne prouve leur performance ! s’exclame Bernard Srour, chercheur à l’Inrae. Même son créateur n’a pas réussi à démontrer l’efficacité de sa diète !

Des bienfaits du jeûne ressentis chez certains patients

Si les effets du jeûne sur les patients en traitement de cancer ne sont donc pas scientifiquement avérés, il n’en reste pas moins que, pour certaines personnes, l’expérience se révèle probante.

En témoigne Sandra. Diagnostiquée d’un cancer du col de l’utérus à 35 ans, elle souffre de nausées et de vomissements dès ses premières séances de chimiothérapie, malgré la prise de médicaments antiémétiques. Sur les conseils d’un naturopathe, elle se lance alors dans une série de jeûnes de trois jours. Des jeûnes dits partiels, où l’apport calorique reste très modeste – 250 à 300 calories par jour – et essentiellement sous forme de bouillons de légumes ou de jus de fruits frais (au contraire d’un jeûne « complet », où seule l’eau est tolérée).

« De toute façon, j’étais tellement malade que je ne perdais rien à essayer ! » La veille, le jour et le lendemain de la chimiothérapie, elle ne consomme donc que du thé et du bouillon. « Sur mes six séances de chimiothérapie, je n’ai jeûné que trois fois. Ça a fonctionné, et j’ai pu arrêter les médicaments antiémétiques , assure-t-elle. Et, à la dernière cure, j’ai même mangé dès le lendemain. »

Le jeûne, un effet placebo ?

Peut-on soupçonner un effet placebo ? Là encore, difficile de trancher, car une étude sur ce sujet est techniquement impossible : on ne peut comparer un groupe placebo et un groupe témoin, puisque tous leurs participants devraient nécessairement qu’ils jeûnent !

« Ce qui ressort du rapport NACRe, c’est que le jeûne est le seul moyen pour les personnes d’avoir un peu de prise sur leur maladie et de l’influencer, selon elles, dans le bon sens, explique Stéphane Servais. Il y a forcément un impact psychologique. Mais est-ce que cela peut modifier l’efficacité des traitements ? Nous n’avons pas la réponse. » En revanche, ce même rapport apporte un démenti à l’idée reçue selon laquelle pratiquer le jeûne, ou un régime restrictif, permettant de prévenir l’apparition d’un cancer : rien ne la justifie « en l’état actuel des connaissances scientifiques ».

Quant à l’hypothèse qu’en privé les cellules cancéreuses d’énergie, en particulier de sucre, on pourrait les tuer, elle demeure erronée. Si elle peut être vérifiée in vitro en laboratoire, dans la réalité, elle se révèle totalement fausse. Car, dans l’organisme, les cellules tumorales s’adaptent toujours, de façon autonome, pour continuer leur croissance et leur prolifération.

« Si elles manquent de glucose, elles vont dérégler les voies métaboliques de l’organisme pour prendre leur énergie ailleurs, dans les protéines ou les graisses par exemple, détaille Adrien Rossary . Au niveau alimentaire, le comportement de la patiente n’a pas d’impact sur les cellules cancéreuses, elles trouveront toujours assez de carburant pour se développer. Dans ce contexte, le jeûne n’est pas un moyen d’affamer les cellules cancéreuses pour les tuer, c’est plutôt une privation en nutriments des tissus sains. » Dont les effets peuvent s’avérer délétères…

Attention aux carences liées au jeûne

Chaque femme réagit différemment aux traitements, à la maladie et au jeûne. Si, dans des cas particuliers, des bénéfices peuvent être observés – encore une fois sans preuve scientifique de liens de causalité –, les risques, eux, sont vérifiés. En se privant de nourriture, on s’expose aux carences en macronutriments (glucides, lipides, protéines) et en micronutriments (vitamines, minéraux…) et à la dénutrition – qui se traduisent par de la fatigue, une perte de poids et des tissus adipeux (principale réserve de protéines de l’organisme) –, ainsi qu’à une fonte de la masse et de la force musculaire (sarcopénie).

Chez les personnes touchées par un cancer, cela peut avoir de graves conséquences, parmi lesquelles un affaiblissement de l’immunité ainsi qu’une diminution de l’efficacité des traitements et de leur tolérance par l’organisme. Finalement, c’est le risque de mortalité qui se trouve s’accumuler chez ces malades.

On estime que la dénutrition serait directement responsable du décès de 5% à 25% des patients . D’où ce cri d’alarme de Bruno Raynard : « Il ne faut pas abandonner celles qui choisissent de jeûner. Il est important, voire vital, qu’elles soient suivies sur le plan nutritionnel ! » Et d’ajouter : « Elles doivent en parler à leur oncologue et aux différents professionnels de santé qui les accompagnent. »

Mieux vaut être accompagné

C’est ce qu’a fait Sonia : « Je voulais être active dans mon processus de guérison ; et, bien que mon oncologue n’ait pas été très à l’idée que je jeûne, il ne m’en a pas empêchée, reconnaît-elle . La condition, c’était d’être suivi par des nutritionnistes de l’hôpital. »

Elle a ainsi pu bénéficier d’un programme sur mesure, sécurisant pour elle, et adapté à son protocole de chimiothérapie. Celui-ci comprenait une séance hebdomadaire de chimio et, toutes les trois semaines, une séance plus lourde, durant laquelle un second produit lui était administré.

« Nous avons convenu que je ne jeûnerais que pour ces grandes chimiothérapies » , qui avaient toujours lieu le vendredi. Sonia prenait donc son dernier repas le mercredi midi puis, jusqu’à sa séance, elle ne consommait que des bouillons et des tisanes. Le samedi soir, elle reprenait une alimentation normale. « Après chaque jeûne, j’avais rendez-vous avec une nutritionniste. Elle me pesait, notait ce que j’avais mangé, et on définissait mon programme alimentaire pour les semaines à venir pour compenser les pertes caloriques liées au jeûne. »

Forte de son expérience, Sonia a décidé de refaire un jeûne à l’issue de ses traitements. « Après presque deux ans de soins en continu, j’étais épuisée émotionnellement. J’ai senti aussi que mon corps avait besoin d’une pause « détox ». J’avais pas mal de troubles digestifs liés à l’immunothérapie prescrite après les chimios, témoigne-t-elle. Le moindre repas me ballonnait et ma digestion était devenue difficile. J’ai eu envie de mettre mon système digestif au repos. »

Effet « détox » du jeûne : info ou intox ?

Elle s’est alors tournée vers une clinique en Allemagne, mondialement célèbre pour ses cures de jeûne. Elle ya resté pendant douze jours, dont sept de jeûne partiel. Résultat : elle a perdu 5 kg, qu’elle a rapidement regagné en reprenant une alimentation normale et équilibrée. Mais, surtout, elle a atteint son objectif : « Ça m’a fait un bien fou ! Avant, j’étais fatiguée physiquement et mentalement; après, j’allais beaucoup mieux. » Des bienfaits qui ont un prix : pour un séjour de quatorze nuitées, en chambre simple, dans cet établissement, il faut compter entre 5 445 et 36 245 euros, en fonction de la catégorie choisie.

Le jeu en vaut-il réellement la chandelle ? La réponse n’est pas au regard de la littérature scientifique. Il n’y a, en effet, pas de preuves scientifiques de l’efficacité du jeûne pour « nettoyer » son organisme. Et, lorsqu’on vient de sortir des traitements anticancéreux, soumettre son corps à ce type d’exercice n’est pas forcément une bonne idée, « car l’organisme reste fragile », rappelle Bruno Raynard.

Et de poursuivre : « Les femmes qui ont pris du poids peuvent être tentées, se disant que leur état nutritionnel est bon. Mais c’est faux. Généralement, elles n’ont pas pris de masse musculaire, mais de la masse grasse. Dans ces conditions, ajoutez un désordre tel que le jeûne n’est pas conseillé. Certaines vont bien le supporter, mais pour d’autres ça peut être catastrophique et entraîner une perte encore plus importante de masse musculaire, ou une reprise de masse grasse rapide une fois le jeûne terminé. »

Les vertus du jeûne nocturne…

Aujourd’hui, une seule pratique de restriction alimentaire semble donner des résultats vraiment intéressants : le jeûne dit nocturne. Il s’agit de la période durant laquelle on ne mange pas entre le dîner et le petit déjeuner.

L’étude NutriNetSanté , en cours, examine son impact sur plusieurs maladies. « À ce stade de l’étude, nous n’avons pas observé de liens entre la durée de cette pause alimentaire nocturne et le risque de cancer, explique Bernard Srour . En revanche, ce que l’on peut dire, c’est que la prise alimentaire tardive, après 21 h 30, pourrait augmenter les risques du cancer du sein, de la prostate et de maladies cardiométaboliques comme le diabète. » Dîner tôt serait donc favorable à la prévention de ces pathologies.

C’est aussi ce que retient l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Dans un avis relatif à l’actualisation du Programme national nutrition santé au sujet de la répartition temporelle des prises alimentaires , elle recommande de dîner léger et tôt, au moins deux heures avant de se coucher, et de privilégier un jeûne nocturne prolongé jusqu’au petit déjeuner, qui doit être rassasiant et équilibré. Bref, de suivre ce vieil adage : « petit-déjeuner comme un roi, déjeuner comme un prince et dîner comme un mendiant » !

Rose Up

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