Cancer, sida, maladies génétiques : l’ARN messager, ce nouvel espoir
Technologie longtemps négligée par de nombreux scientifiques, l’ARN messager connaît un coup d’accélérateur grâce à la réussite des vaccins de BioNTech et Moderna contre la covid-19. Désormais reconnue, elle pourrait être déclinée pour traiter une multitude de maladies.
ollègues scientifiques affirmaient que mes travaux ne serviraient jamais à rien en médecine ». Aujourd’hui, Steve Pascolo, l’un des pionniers de la vaccination par ARN messager, tient sa revanche. Après des années de vaches maigres, les financements de ses travaux se sont multipliés, ces mois derniers. Et pour cause, la molécule à laquelle il a dédié sa vie de chercheur s’avère actuellement la plus performante et la plus sûre parmi les différentes technologies de vaccin contre la covid-19. Elle est aussi prometteuse pour le traitement d’autres maladies. Ce scientifique français expatrié à l’hôpital universitaire de Zurich est un des cofondateurs de la société allemande CureVac, qui pourrait être la prochaine à obtenir un feu vert pour la diffusion de son vaccin à ARN contre le Sars-Cov-2.
L’ARN réputé « fragile et instable »
Dramatique, la pandémie aura permis de valider scientifiquement l’efficacité d’une molécule à laquelle peu croyaient, il y a encore un an et demi. Même les plus éminents scientifiques, tel le généticien Axel Kahn : « Je n’avais pas accordé une attention considérable à ces travaux qui datent d’une vingtaine d’années, de ces quelques équipes, rares, qui, elles, considéraient qu’en dehors des thérapies géniques et protéiques, on pouvait utiliser, pour faire le même boulot, de l’ARN. Le messager intermédiaire des gènes à la protéine », reconnaît le généticien. L’ARN messager lui paraissait alors « instable, fragile. Injecté comme cela, à l’extérieur des cellules, il pouvait provoquer des réactions inflammatoires violentes. Beaucoup se demandent maintenant s’ils n’ont pas eu tort de le négliger… ».
Signe de l’intérêt des deux vaccins à ARNm autorisés, la très fiable et indépendante revue Prescrire leur a même attribué « la rare cotation « Intéressant »» en avril, concluant à un « rapport bénéfice-risque nettement favorable ».
« Votre corps produit le médicament »
La technologie a connu d’énormes progrès à partir de 1993, lorsque des Français ont réussi à établir qu’un ARN messager enfermé dans une capsule de lipides pouvait entraîner une réponse immunitaire. Elle devrait maintenant connaître un coup d’accélérateur fulgurant vers un vaste champ des possibles. « Avec l’ARN messager, c’est votre corps qui produit le médicament, de l’insuline, un anticorps, de l’érythropoïétine, etc. », s’enthousiasme Steve Pascolo. « Il peut servir comme vaccin antivirus, antibactérien, antiallergique, anticancéreux, et en thérapie car on sait le modifier pour qu’il ne soit pas inflammatoire », poursuit l’immunologiste.
Laisser les cellules de son corps fabriquer la protéine-médicament recherchée, grâce à de l’ARN, plutôt que d’utiliser une usine, a plusieurs avantages. « Le premier est la rapidité. Produire des protéines, les purifier, est long et difficile, rappelle Nora Yahia, responsable du suivi et de la valorisation des projets scientifiques et médicaux de Sidaction. Avec l’ARN, ce temps est raccourci, la production à grande échelle est plus facile. Cela rend aussi plus aisé le développement et l’évaluation de nouveaux candidats vaccins ».
Steve Pascolo vante aussi la plus petite taille des installations nécessaires, leur plus grande flexibilité pour passer en quelques jours de la production d’un ARN à un autre. Et les moindres allergies liées au produit. « Quand vous fabriquez des protéines, vous avez toujours des traces de contaminants. C’est pour cela que des gens qui sont allergiques à l’œuf ne peuvent recevoir certains vaccins, par exemple », précise-t-il. « Il y a aussi une certaine sécurité de l’ARN car il va rapidement être éliminé par l’organisme », ajoute Nora Yahia. Même sa grosse contrainte de conservation à basse température devrait être levée grâce aux récents progrès réalisés par les labos.
BioNTech en pointe sur le cancer
Autre atout : des milliards de dollars ont plu sur les sociétés Moderna et BioNTech qui ont pu construire des usines de très grande capacité. « Ces infrastructures vont nous permettre de faire beaucoup de choses qu’on n’avait pas anticipé de faire à cette échelle ou qui n’étaient pas prioritaires. Des vaccins antigrippe à ARN messager, par exemple », avance Steve Pascolo.
BioNTech fait partie des entreprises qui font la course en tête pour traiter d’autres pathologies que la covid. Elle teste actuellement en phase II un traitement à ARN contre le cancer. Ce type de « vaccin », curatif et non pas préventif, n’a jamais été probant, quelle que soit la technologie utilisée. Mais, cette fois-ci, la société allemande veut cibler les mutations des tumeurs grâce à leur séquençage préalable. « Ils combinent ce vaccin personnalisé avec d’autres thérapies, des immunothérapies notamment, et je pense que cela va donner de bons résultats sur l’espérance de vie des patients et sur les récidives. J’espère qu’en 2022-2023, cette approche sera validée », note Steve Pascolo.
Mais tout n’est pas parfait dans le monde de l’ARN. Les petites biotechs qui voudraient se lancer dans le traitement de maladies vont découvrir un univers où les brevets sont légion, où il faut parfois payer cher une licence pour utiliser une méthode de production d’ARN de très bonne qualité. Et qu’en est-il d’éventuels effets indésirables de ces médicaments à long terme ? Même balayé par une large majorité de scientifiques, le risque de voir un ARN être « rétrotranscrit » en ADN et modifier notre propre ADN, continue d’alimenter les soupçons des plus « ARN-sceptiques ».
28 avril 202